dimanche 31 mai 2009

Rémi, le SAS français avec la 6e airborne

Rémi avait 85 ans en 2004 quand je l'ai rencontré, à côté d'un Canadien, d'une résistante, et d'un ancien soldat allemand. Mobilisé en 1940, à 21 ans, alors qu'il sort de HEC, il est versé, fin 1940, dans l'armée d'armistice comme sous-officier de cavalerie. Puis démobilisé le 30 août 1941, car il est juif. Son père décède trois mois plus tard. Plus rien ne le retient en France, il transite par l'Espagne et le Portugaln, après avoir franchi les Pyrénées en février 1942. Trois mois pour traverser l'Espagne et Rémi arrive à Londres le 5 mai 1942, via Lisbonne et Gibraltar. Il suit le cours des Cadets de la France Libre, puis une formation d'officier parachutiste en Ecosse, à Spean Bridge, près de Fort William. Versé dans les SAS français, "par hasard", où par sécurité, il prend le nom britannique de "Plowright" dit Daniel, son deuxième prénom. Son frère, arrivé avant lui a retenu le même surnom, avec John pour Prénom. Il est sous-lieutenant. Il sera le premier para de son unité à arriver en France (le 3rd SAS n'arrive que le 15 juillet pour la mission Dickens).

« J'ai été désigné officier de liaison auprès de la 6e Airborne britannique car j'étais bilingue français-anglais. J'ai quitté mon unité, le 3e SAS, le 4 juin alors que nous étions encore en Ecosse. Je n'aurais jamais dû participer à un tel évènement. Evidemment, avec le recul, je suis content d'avoir vécu tout ça.
"On a l'impression qu'on est invincible"
« Il faisait un temps convenable. Un peu couvert mais convenable. La chasse anglaise pouvait ainsi patrouiller. Et de mémoire, je n'ai pas vu un avion allemand le 6 juin. Le problème, ce jour-là et ceux qui ont suivi, c'et que la logistique ne suivait pas assez vite. Si vous avez 15 ponts ou 15 croisements à défendre, il vous fait autant de chars ou de canons anti-char. Et tout ça manquait. C'est notamment pour cela que les Britanniques et les Canadiens se sont arrêtés devant Caen, faute de matériel en assez grand nombre, au sol.
« Ce qui m'a le plus frappé le 6 juin, c'est le départ de Grande-Bretagne. Quand on a fait partie des convois de 300 planeurs tirés par 300 bombardiers quadrimoteurs, qui survolent 5.000 bateaux, protégés par 1.000 chasseurs, on a l'impression qu'on est invincible. Les difficultés sont apparues ensuite car rien ne s'est passé comme prévu. Mais cela aurait été pire si les Allemands avaient riposté très vite. Ce qui n'est pas arrivé, heureusement pour les Alliés, et les Français qu'ils venaient libérer. »
« Mon impression générale, encore dans ce planeur Horsa, était que rien ne semblait pouvoir arrêter cette fantastique machine alliée. Des Français, en Normandie, en Bretagne, participaient à cette machine, c'était enthousiasmant. Mais il fallait garder en tête que tous les Allemands n'étaient pas de farouches nazis. Nous en cotoyions plusieurs, en Angleterre. Et nous rêvions d'une Allemagne pacifiée, sans nazis. J'avais l'impression que cette journée allait permettre à l'Allemagne d'avoir un visage humain. »
« Pour autant, on faisait la guerre sans état d'âme, en 1944. On faisait la guerre à des affreux, les nazis, pour en débarrasser la France , puis l'Europe. C'était une guerre pour une bonne et juste cause. Pas forcément comme on fait la guerre aujourd'hui. »
« L'objectif du 3e SAS, mon unité d'origine, était de couper en deux la France du du sud au nord, de la Rochelle à Belfort, pour freiner l'arrivée des troupes allemandes venant du sud. Cette unité était commandée par Conan. »
Rencontre avec les Kieffer boys
« Notre planeur, a atterri dans l'après-midi du 6, vers 18 heures, entre Ranville et Troarn. Nous étions une dizaine seulement (NDLR contre la trentaine habituelle) à bord avec les deux pilotes, car nous apportions du matériel à la première vague. Mais je ne me souvient plu très bien si c'étaient des vivres, des munitions, ou des armes. Le matériel était stocké dans la première moitié du Horsa, au niveau du centre de gravité, et nous, nous étions à l'arrière. il me semble que quand le planeur a atterri, nous sommes sortis par l'arrière. Nous avons bien fait de ne pas perdre de temps car le Horsa qui nous suivait a manqué son atterrissage. »
« Ce jour-là, nous avons eu peu de contacts avec les Allemands, car la première vague, larguée dans la nuit, avec fait l'essentiel du travail. Cependant, ca continuait à tirer encore. De plus, ma fonction d'officier de liaison m'empêchait de facto de m'exposer, dans la mesure du possible, au feu ennemi. Je devais patrouiller avec une équipe entre nos lignes et celles des allemands, pour acquérir des renseignements, notamment auprès des civils. Pas vraiment la mission pour laquelle nous, SAS français, nous avions été formés, mais c'était corsé. Et potentiellement dangereux. Donc, évidemment, ne ne regrette pas du tout d'avoir pu remplir cette mission, et d'avoir participé à un jour aussi historique. »
« Le 7 ou le 8, j'ai rencontré d'autres français, ceux du commando Kieffer. J'avais entendu parler d'eux en Angleterre, mais je crois que c'était la première fois que je les voyais. Ca a été très rapide, tout le monde était très occupé.
"Le 6 c'était encore tangent"
L'absence totale de l'aviation allemande dans le ciel a donné une confiance formidable chez les Canadiens et les Britanniques. Ces derniers, par la suite, n'ont pas eu le travail le plus facile car ils ont libéré le 76, la Somme , le Nord et le Nord Pas-de-Calais, puis la Belgique et le Luxembourg. A quelques kilomètres de nous, des Belges avaient libéré le pont de Trouville, sur la rivière Touque. C'est devenu depuis le "Pont des Belges".
On pensait pas vraiment à l'échec. Le succès, certain, nous est apparu au bout de deux à trois jours. Mais le 6, c'était encore tangent. En fait, on ne s'attendait vraiment pas à ce que les Allemands réagissent aussi tard. C'est notamment parce que l'aviation et la résistance avaient détruit, et continuaient à harceler les noeuds de communication, les convois routiers, les concentrations de troupes. Et c'était aussi le succès des opérations d'intoxication effectuées par les Alliés, pour faire croire que le débarquement aura lieu pour de bon dans le Pas-de-Calais, la Normandie n'étant qu'une diversion.
Je n'ai su qu'après le travail formidable que nos camarades du 4e SAS avaient effectué en Bretagne, et qu'ils continuaient encore.
Par la suite, j'ai retrouvé mon unité en Grande-Bretagne, puis j'ai été parachuté sur la Bourgogne le 15 août (missions Harrod et Barker, du 12 août au 4 septembre). J'étais sur la RN 6 que l'on a coupée à la circulation, entre Châlons et Macon. On tendait des embuscades pour déranger leurs axes routiers. N'oubliez pas que le 15 août, les Allés avaient débarqué en Provence. Je suis content d'être là, de témoigner auprès des jeunes, mais je n'ai vraiment pas la mentalité de certains anciens combattants qui portent ostensiblement la médaille.

Nos photos : Rémi, devant la réplique d'un planeur Horsa construite à l'époque, pour les 60 ans du DADAY, au musée de Ranville (par ailleurs richement rempli). Le même, encadré de vétérans américain, canadien et, à sa gauche, allemand. (crédit JMT).